Le vrai Docteur Faust, l’ami des verriers.
Docteur Faustus de Rembrandt Vers 1652 Eau-forte
Curieux de tout, Peter Schmid (1580-1639) premier maître-verrier de la famille Schmid s’intéressait également à l’histoire, à la littérature et aux questions religieuses.
Ainsi, il se prit de passion pour la célèbre Historia von D.Johann Fausten,
Un ouvrage paru déjà en 1587 sur le mystérieux Docteur Faust qu’il découvrit avec beaucoup d’étonnement dans la bibliothèque de l’abbaye Saint-Blaise (Forêt-Noire)
« Histoire du Docteur Faust, le fameux magicien et maître de l’art ténébreux; comme il se vendit au diable pour un temps marqué, quelles furent, pendant ce temps-là, les étranges aventures dont il fut témoin ou qu’il réalisa et pratiqua lui-même, jusqu’à ce qu’enfin il reçut sa récompense bien méritée. Recueillie surtout de ses propres écrits qu’il a laissés comme un terrible exemple et une utile leçon à tous les hommes arrogants, insolents et athées. – « Soumettez-vous à Dieu, résistez au Diable et il fuira loin de vous. » (Saint-Jacques, IV, 7)
Page de garde d'Historia von Johann Fausten.
Ce récit circulait comme un tract et touchait l’imagination populaire. Il semblerait avoir été rédigé selon l’esprit d’un pamphlétaire protestant.
En vérité, Peter savait que le véritable Faust avait réellement existé puisque ce « sinistre personnage » avait travaillé au sein d’une verrerie tenue par un membre allié de sa propre famille.
Il s’agissait de Joseph Siegwarth né en 1480 qui avait installé une verrerie dans le Bade-Wurtemberg, dans la commune de Rudersberg, plus exactement au lieudit la « Vieille Verrerie » (Althütte).
C’est dans cette verrerie que Joseph Siegwarth accueillit, en effet, aux débuts des années 1500 un certain Johann Georg Faust né le 23 avril 1478 à Knittlingen qui est une ville du Bade-Wurtemberg, située dans l’arrondissement d’Enz.
Faust travaillait dans la verrerie en tant que stagiaire, car il s’intéressait au travail du feu et voulait acquérir les rudiments du métier de maître-verrier.
C’est pourquoi il dut rester de nombreuses années dans cette verrerie. Si bien qu’il s’intégra même au sein de la famille Siegwarth, puisqu’il fut le parrain du deuxième fils de Joseph.
On avait appris aussi qu’il était astrologue, ce qui était considérée à cette époque comme de la science. Et s’adonnait également à la magie. Bref, il dénotait à l’évidence parmi les verriers et les habitants du Bade-Wurtemberg car il était ce que l’on appellerait aujourd’hui, un marginal, un original.
En langue allemande, on disait de ce genre de personnage qu’il pensait de travers, hors des sentiers battus.
En outre, il était un vagabond, ce qui à l’époque n’était pas nécessairement connoté négativement chez les verriers vu qu’eux-mêmes étaient aussi considérés comme tels vu leurs incessants déplacements toujours à la recherche de nouveaux lieux d’implantation d’une verrerie.
En fait Faust, esprit libre et curieux essayait seulement de comprendre et d’intégrer tout ce qu’il était possible d’apprendre et cela dans toutes les sciences connues. Il aimait explorer dans les sciences de la chimie et de la physique.
Son attrait particulier pour l’alchimie le rendait cependant suspect aux yeux du grand public, car les laboratoires des alchimistes étaient considérés comme des lieux de sorcellerie et de magie noire.
Comme d’ailleurs le travail du verrier qui semblait proche de celui de l’alchimiste . Avec le feu, le verrier pratiquait la fonte de la matière, et utilisait des poudres et des pigments éclatants pour obtenir des couleurs semblant surgir de la terre. Et ainsi, on pouvait penser que les objets en verre possédaient en quelque sorte un statut magique.
Mais en réalité le passage de Faust à la verrerie des Siegwarth n’avait rien d’un pacte conclu avec Lucifer.
Pour Peter Schmid qui s’était informé auprès de la famille Siegwarth (°), il ne faisait aucun doute que Faust qui était certes un être original n’était par ailleurs aucunement un être maléfique.
(° Le petit-fils de Joseph Siegwarth dénommé Clévis habitait Saint Blaise et était l’ami de Peter Schmid, d’ailleurs son propre fils Michaël Siegwarth se mariera le 13 juin 1627 avec Marguerite Schmid, la fille de Peter. Et de même les descendants de ces deux familles ne cesseront de se rapprocher par des alliances réciproques: en 1652 Hans Georg Johann Siegwarth épousera Ursula Schmid et en 1706 ce sera Madeleine Siegwarth avec Melchior Schmid, le père de Martin Schmid, le dernier maître-verrier de Verrerie-Sophie, l’actuel Stiring-Wendel près de Forbach en Moselle- voir l'arbre généalogique ci-dessous )
Tout cela relevait bien d’une légende savamment entretenue d’abord par le public , ensuite par des conteurs et enfin par des écrivains, dont le premier fut Christopher Marlowe avec sa pièce de théâtre écrite en 1592 The Tragical History of Doctor Faustus qui donna par la suite une dimension incomparable à cette histoire.
La fin tragique de Faust ne fit d’ailleurs qu’augmenter la rumeur de sa relation diabolique.
Dans la chronique zimmernienne (i.e celle du Comte de Zimmern), que connaissait bien Peter puisque diffusée en Forêt noire, Faust serait mort à une centaine de kilomètres plus au sud de son lieu de naissance, à Staufen (Bade Wurtemberg) dans l’auberge zum Löwen .
Son corps aurait été “ horriblement défiguré” au cours d’une explosion pendant une expérience d’alchimie. On en avait conclu conformément à l’air du temps que le diable en personne avait pris possession de son âme.
La diffusion dans les foires et les marchés du Faust de Christopher Marlowe contribua ensuite à forger une légende populaire très tenace qui ne cessera de s’amplifier dans le temps et l’espace . Celle-ci sera connue plus tard par Goethe qui écrira trois Faust ( Urfaust, Faust I et Faust II).
Avec cette période de la fin du XVI° s. qui sortait du sombre moyen-âge, on était au début de la modernité. Peter voyait ce moment comme une période de grands bouleversements où comme dirait Shakespeare, le temps est hors de ses gonds et où les idées neuves étaient forcément une invention du diable.