Soirée dédicace du 12 -09

 

Dominique Gros, Maire de Metz et Christian Schmitt

Dominique Gros (à gauche) et René Drouin, Maire de Moyeuvre-Grande (au centre)

La grande salle du restaurant des Amis de St. Louis au Gd Séminaire de Metz

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Discours prononcé par Christian Schmitt

Le 12 décembre 1998, Jean-Louis Schmitt dit Trévisse mon frère vient de décéder vers 10h30 à Briey suite à une longue maladie. Il n’a que 49 ans !

A peine arrivé à son domicile, son médecin traitant qui était déjà sur place me prend à part pour me dire une chose étonnante : « Savez-vous au juste qui vient de nous quitter ? ».

Cette question m’intrigue d’autant que j’estime bien connaître mon frère…et bizarrement elle conduit à me déstabiliser  car je reste étonnamment muet, incapable de répondre !

C’est pourquoi, pratiquement 10 ans après la disparition de Jean-Louis Trévisse, ce livre que je viens d’écrire sur sa vie et  son œuvre est en quelque sorte ma réponse.

En effet  Jean-Louis Trévisse a réalisé des œuvres étonnantes pleines de beauté et de lyrisme. Or  personne ne souvient de lui et de son œuvre. Il nous a quittés dans le silence, la discrétion voire même dans l’oubli le plus total.

Il est vrai aussi que mon frère n’a jamais été un être facile. Ainsi son regard perturbait parfois certains de mes amis, il leur faisait peur ! Etre inquiet et inquiétant, travaillé par le doute permanent, son mal être était évident.

Mais ce comportement étrange, cette apparente dureté cachait en réalité un être sensible qui vibrait plus que quiconque aux soubresauts du monde.

A travers les différentes périodes de son parcours créatif, j’en ai répertorié 6, apparaît souvent son goût prononcé pour les scènes de violence, de saccage ainsi qu’un érotisme débridé.

En réalité il ne s’agit jamais de sa part d’une provocation gratuite.

En partie cette violence peut s’expliquer par son caractère ombrageux et par une personnalité travaillée par de fortes pulsions. Je pense notamment à la période des années 1970 que j’ai appelée « le traumatisme fœtal ». Ainsi son besoin de découper des corps, de les lacérer et surtout les corps de femmes laissant parfois apparaître un fœtus… cette apparente cruauté n’est que la traduction de son mal être où l’artiste a vécu douloureusement son passage à l’âge adulte. Et cette période pose également la problématique de ses rapports avec la femme, les femmes et peut être également avec sa propre mère qu’il venait de quitter suite à son mariage en 1974 ?

Malgré cette violence affichée dans ses dessins à l’encre de Chine, cet univers est empli de poésie, celle d’un enfant ou d’un fou et l’on pense bien évidemment à Antonin Artaud. Il a le don  de magnifier les scènes les plus atroces grâce à une technique du dessin très élaborée : les contours de chaque scène où l’ombre est traitée comme de la dentelle fine et évanescente. Et les jeux d’ombre et de lumière donnent une force dramatique à chaque œuvre. 

Mais au-delà de la traduction de son propre tempérament, sa peinture est l’expression également du monde dans lequel il vit. Admirateur d’Antonin Artaud et du poète Henri Michaux, il explore comme eux les mondes de l’impossible.

Par conséquent avec lui, l’art délire et  au lieu de rassurer en expliquant, il plonge complètement, ontologiquement dans la réalité la plus crue. Il est à l’image du monde qu’il côtoie : explosif et fracassant.

Très jeune, Jean-Louis a plongé dans la fureur machinale des usines sidérurgiques qui essaimaient  les vallées de l’Orne et de la Fensch.  Moyeuvre-Grande, sa ville natale et le lieu de son enfance l’a profondément marquée. Issu d’une famille ouvrière, ses parents, grands-parents et arrière grands-parents ont tous vécu  dans l’ombre tutélaire des hauts-fourneaux de cette cité.  

Le bruit, les odeurs, les rythmes effrénés du travail posté des ouvriers… tout cela mon frère le ressentait comme une violence exercée par ce monde machinal sur les hommes entraînant ceux-ci dans un tourbillon sans cesse élargi. L’arraisonnement de l’être par la technique selon Heidegger prenait ici  tout son sens car on vivait et on existait  qu’au rythme de l’usine. 

Et puis brutalement tout cet univers industriel commença à disparaître dès l’arrêt définitif de l’usine de Moyeuvre le 31/01/1970 et par la suite les autres usines de la vallée de l’Orne ont subi le même sort, ne restant plus  à ce jour que l’usine de Gandrange…mais pour combien de temps ?

Jean-Louis Trévisse de manière prémonitoire dans ses toiles acryliques des années 1980 y voyait les effets de cette mondialisation qui allaient bouleverser tous nos repères subjectifs. Ainsi les trois grandes toiles ici présentes intitulées « Figures tétanisées » montrent la dislocation de l’homme à l’image de ce XXI° s. qui allait modifier totalement la tranquille stabilité de nos appartenances  et de nos filiations.

Ces différentes figures de l’homme tétanisé ce sont celles de l’homme actuel qui perd progressivement tous ses repères (du sol, de la langue et même de l’identité sexuée). A l’évidence la mise en scène répétée des corps éventrés des années 1970 ne constituait que les prémisses de cette dislocation. « Nos corps ne sont pas anatomiques » répète Artaud « ils sont atomiques » ! 

Ainsi par cette violence, le peintre n’est que le témoin ou le visionnaire d’un monde qu’il entrevoit, celui qui est à feu et à sang. Il ne cherche pas à expliquer, il fait sien le monde et cela de manière ontologique. Il est dans la modernité la plus absolue. Et comme Artaud, il est un détonateur qui marche un pas en avance sur notre temps. 

Enfin cette violence qui ressort de ces grandes toiles est encore plus frappante du fait de l’utilisation de l’acrylique. En 1982, il abandonne définitivement la peinture à l’huile au profit de l’acrylique qui est également révélateur de son besoin de transcrire ce cri de violence sur la toile.

Il l’explique lui-même dans ses notes personnelles de l’époque : 

« …La violence qui se manifeste est à peine contenue. Elle vient des profondeurs, c’est une peinture de chair et de sang. C’est un cri qui devient clameur ou qui s’étrangle. La transcription de ce cri  sur la toile est soit primitive, soit sophistiquée. Elle souligne la permanence des obsessions de l’individu et de sa révolte… Artaud mort au pied de son lit s’embrasa comme une torche  et dans son ascension fulgurante creva le plafond, transperça le soleil et explosa sur le front de Dieu…Les poètes sont aux racines de l’œuvre (Artaud, Michaux, Ferré  pour n’en citer que trois) ».

Bien que restant attaché à sa région natale, Moyeuvre-Grande et ensuite Metz où il acquiert les bases de son art et fréquente ses premiers amis peintres (Bizeul, Guermann, Scholtès, Solange Bertrand), Jean-Louis  éprouve cependant le besoin de rompre les liens en 1983. Il décide de quitter sa région et son emploi (il était enseignant d’arts plastiques) et avec sa femme va s’aventurer dans la capitale pour faire éclater son art.

Jean-Louis va acquérir une maturité dans son art. S’il renonce aux expressions de grande violence qui caractérisaient ses toiles des années 1980, par contre les aspects conflictuels seront toujours présents. 

Ainsi les enchevêtrements complexes, resteront sa marque et sa signature dans ses toiles de l’époque parisienne (comme l’indiquera fort bien la critique d’art Laura Cossuta). Une situation toujours tendue et conflictuelle favorisée par le jeu de ces équilibres précaires et improbables. 

En faisant prédominer la forme et la couleur au détriment de la figuration, Jean Louis Trévisse semble se livrer lui-même au chaos des sensations, chaos qui, faisant chavirer les choses, laisse parfois découvrir des mondes nouveaux grâce à ce magma de formes ressemblant parfois étrangement à de la lave en fusion sortie d’un volcan en éruption (voir la toile qui fait la couverture du livre).

Il est comme Pollock « littéralement dans la peinture ». Le peintre se bat dans un corps à corps avec la toile et agresse sur tous les fronts : dessin, couleur, forme par des fractures…Sans doute veut-il faire hurler son époque : une peinture sauvage au service d’une nature sauvage !

A l’évidence ce peintre peut être classé parmi les peintres destructeurs, comme le fut jadis le turbulent Caravage, et plus récemment Cézanne et Van Gogh.

Pourtant sa violence destructrice n’est que le premier et nécessaire versant de sa peinture dont le second se voue à instaurer un monde qui se tient debout.

Pour lui peindre n’est pas un divertissement, un passe temps mais une activité qui le prend totalement. C’est un peintre en quête d’Absolu. C’est pourquoi il consacre tout son temps à son art à la recherche de l’être des choses, à découvrir ce que dissimule le voile des apparences…

Certes son époque parisienne ne fut que de courte durée (7 ans de 1983 à 1990), trop impatient, il ne parvient pas à trouver sa place dans les milieux de l’art. S’il reste un marginal, il réalise  pourtant  dans son atelier des œuvres étonnantes.

En revenant sur Metz, il approfondit sa quête à la recherche de l’être. Il est à la recherche de cette genèse ontologique pour éliminer la fluence de l’immédiat et le papillolement  du temps et ainsi retrouver la consistance d’être, le solide et l’intemporel.

Et pour réaliser cette recherche « métaphysique », il affectionne particulièrement la technique de l’aquarelle (lavis notamment). Celle-ci lui permet par la légereté gestuelle, le jaillissement de formes, de mondes nouveaux et l’émergence d’une lumière qui traverse le temps et l’espace.

Pour découvrir l’être des choses, Jean-Louis a besoin de retrouver ce chaos originel, le « big-bang » qui constitue la genèse de notre univers. C’est pourquoi souvent son écriture prend la signature de l’art brut ; l’art des fous ou des enfants comme l’affirmait Dubuffet. Trévisse retrouve par cette forme artistique la pureté originelle qui touche le fond et signe sa volonté de retourner à la nature et au cours des choses. 

La présence et le passage de l’être prend des formes qui varient selon les différentes périodes de son évolution picturale. Peu à peu les formes humaines disparaissent dans son œuvre au profit d’un monde informel où domine la couleur, celle-ci étant devenue la vertu génératrice permettant de tout ramener à elle. Un tout fondamental qui corrobore l’affirmation de Cézanne selon laquelle : « Quand la couleur est à sa richesse, la forme est à sa plénitude ».  

L’être vit et respire dans cet univers même si l’homme parait absent car il est en réalité tout entier dans ce microcosme. On le sent partout vibrer, frissonner grâce à ces ondes colorées qui s’échappent du pinceau du créateur. La matière picturale devient une matière vivante. Et au fur et à mesure que le peintre arrive au terme de sa vie, la présence de l’être se manifeste par cette lumière qui sourd de l’intérieur. Dans ses derniers lavis la lumière domine son œuvre et comme par révélation, Trévisse ressent le même phénomène que celui éprouvé par Paul Klee : « La couleur me possède. Point n’est besoin de chercher à la saisir. Elle me possède… ».En manifestant la présence de l’être, JLT est devenue le peintre de la lumière !

Et pour terminer je reprendrai la dernière phrase du texte introductif de l’ouvrage sur Trévisse (Trévisse sismographe de la modernité) :

« …Malgré le pessimisme radical de son œuvre qui « s’origine » dans son vécu personnel, ce n’est qu’au seuil de sa vie qu’il fait l’expérience radieuse d’une transfiguration. Véritable créateur, traversé par ce feu intérieur, Trévisse portait en lui la misère du monde tant sa force de lucidité était grande. Mais pour créer et vivre tout simplement, il paya un lourd tribut. Et « ce qu’il n’est pas facile d’accepter c’est de penser qu’en partant, il s’est libéré d’un fardeau insupportable pour retrouver la lumière » (son ami peintre Vincent Verdeguer de Paris le 08/12/2006) ».

Metz, le 12 septembre 2008

Christian Schmitt