Jean-Louis Schmitt dit Trévisse

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Son autoportrait réalisé lorsqu'il n'avait pas encore 14 ans .

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Jean-Louis Trévisse devant une grande toile acrylique vers 1983-1984

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En 1998, quelques semaines avant sa dispartition il ne cessait de créer.

  

Christian, son frère, a prononcé l'homélie suivante lors de ses obsèques religieuses en l'église St Gengoult à Briey le mercredi 16 décembre 1998 à 14h30 :

' Jean-Louis Trévisse vient de nous quitter à 49 ans.Pour retracer sa vie, j'ai encore en mémoire les vers de Baudelaire que je lui avais cités dans une lettre datée du mois d'avril 1976-vers tirés de 'l'Ennemi':

Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,

Traversé çà et là par de brillants soleils,

Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,

Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

Comme Baudelaire, Jean-Louis a vécu ou plutôt souffert de l'incompréhension de ses semblables.

Baudelaire a été un hypersensible et donc inévitablement quelqu'un qui exprime fort ses sentiments.

Le symbole de l'orage au premier vers indique bien ce que fut sa jeunesse, malgré çà et là des jours heureux et presque de bonheur (ses amours et ses amitiés).Baudelaire conclut sur l'échec de sa vie d'écrivain et de poète, et finalement sur l'échec de sa vie d'homme !

En réalité, cet échec tout relatif provient de sa quête du surnaturel qu'il mena sa vie durant pour échapper à la détresse morale, à son spleen et pour s'élever vers les hautes cimes de la beauté et de l'amour.

Ainsi Jean-Louis a connu les mêmes angoisses que cet écrivain-poète. Il a constamment douté de lui, de sa capacité à créer, de la peur de n'être rien-même pas un peintre-alors que cela avait été la seule et grande ambition de sa vie.

Sois rassuré Jean-Louis, n'aie aucune crainte, tu as été un vrai et un authentique créateur.Tes oeuvres prouvent, à l'évidence,que tu avais un talent exceptionnel, que tu étais doué d'une veine créatrice riche et féconde, toujours en mouvement, capable de nous faire découvrir, comme Baudelaire, les hautes cimes de la beauté !Tu as créé le beau, le vrai et comme un poète, tu nous as ouvertes grandes les portes du rêve.

Barthels, un ami écrivain et poète, l'a bien compris, puisqu'il disait de toi en 1992: Trévisse peint, non pas ce qu'il vit et ressent, mais ce qu'il est...un poète !

Certes ton parcours dans la vie a été bref, mais il a été riche.

Né à Moyeuvre-Grande le 27 juillet 1949, il a vécu une enfance heureuse entouré de l'affection de ses parents et  a joué le rôle de l'aîné, puisqu'il a été le premier d'une fratrie de quatre enfants, ses trois frères lui vouaient une réelle admiration, car ils avaient remarqué très tôt qu'il était différent des autres enfants de son âge.

Ses dispositions précoces pour le dessin faisaient l'admiration de ses maîtres d'école et la famille Schmitt était fière de savoir que les premières graphiques de Jean-Louis étaient affichées en permanence à l'école communale.

C'est à l'occasion des fêtes de Noël qu'il a reçu ses premiers tubes de peinture à l'huile; il s'est lancé alors, vers l'âge de dix ans, dans la copie des grands maîtres de la peinture: Rembrandt, Van Gogh, Gauguin et d'autres. C'est l'époque de la révélation de son don pour la peinture, période d'éblouissement pour lui et pour les siens.

A quatorze ans, il a peint son autoportrait: oeuvre magistrale pour un enfant de cet âge. On est stupéfait par la maturité du jeune peintre et par la qualité de son travail !

Il maîtrise à merveille la technique du clair obscur et l'art du portrait. On perçoit déjà la personnalité du grand créateur qu'il sera : peintre des tensions exlosives, de l'intensité dramatique et qui ira jusqu'à explorer les limites du discours pictural.

Jean-Louis entre aux Arts Appliqués de Metz à seize ans et il obtient en 1969 le diplôme national des Beaux Arts à Strasbourg( avec  mention spéciale): ses aquarelles avaient fait une forte impression auprès du jury de l'époque.

Professeur de dessin au collège de l'Assomption à Briey, il n'en poursuit pas moins une oeuvre essentiellement graphique et donne une série de dessins dont les thèmes majeurs sont la femme, le sexe et la débauche et qui a fait l'objet de diverses expositions à Metz, Nancy et Jarny ( de 1970 à 1975).

En 1975, il se tourne vers la sculpture et redécouvre les techniques de l'aquarelle, du lavis et plus tard il se prend de passion pour l'acrylique.

L'acrylique c'est selon lui : une peinture de chair et de sang.C'est un cri qui devient clameur ou qui s'étrangle...Les poètes qui sont aux racines de son oeuvre sont notamment Artaud, Michaux et Ferré pour n'en citer que trois !

Marié à Eve Polus le 27 juillet 1974, il trouve auprès d'elle tout le soutien, tout le réconfort d'une épouse qui l'aime et le stimule dans la poursuite de son projet créatif.

Le 1° octobre 1982, il expose à la Bibliothèque Médiathèque de Metz des peintures et des sculptures.

Beaucoup de finesse marque son style volontairement répétitif qui cherche, dans la ponctuation à provoquer l'effet.Ses sculptures manifestent, sous des formes harmonieuses, une angoisse qui se dit 'cri d'amour et d'espoir'.

A l'occasion de cette exposition importante, un film vidéo lui fut consacré.

A la fin de l'année 1983, il décide avec Eve de quitter la province pour s'installer à Paris.La période parisienne fut celle pendant laquelle son oeuvre fut la plus féconde; Son style pictural évolue considérablement: on peut parler de 'richesse explosive':il expose dans beaucoup de galeries(Paris,Vitry-sur-Seine...).

Laura Cossuta, critique d'art italienne, à l'occasion d'une exposition personnelle de Jean-Louis, rue des Beaux Arts à Paris en 1984 lui rendit un vibrant hommage:

La peinture de Jean-Louis Trévisse est une parabole vivante, actuelle, pleine d'un ferment riche de potentialités évolutives, dont la 'présence' révèle une richesse explosive de tensions vitales,cachées sous l'enveloppe de la matière...Dans le microcosme de Trévisse, le monde moderne et la nature,éléments inconciliables, s'opposent dans une lancinante dynamique de l'irréparable, qui tout en dépassant les limites du discours pictural, pénètre les raisons primordiales et profondes de l'homme, éternellement en balance entre réalité et existence.

Il était heureux d'être à Paris, dans un milieu propre à exciter son imagination et sa créativité.Je me souviens de la réponse qu'il m'a faite en 1984 lorsque je lui demandais s'il ne regrettait pas d'habiter Paris.Je vous livre quelques extraits savoureux de la lettre qu'il m'adressa en guise de réponse:

Tu me demandais hier si je n'avais pas de regret d'être à Paris, je constate qu'il ne faut pas connaître cette ville pour poser une telle question!

Je suis parisien ! Instinctivement, de cet instinct que connaissent les oiseaux migrateurs.

L'idée de mourir ici, entouré des fantômes et des vivants illustres ou maudits qui rôdent dans le cercle initiatique, me donne vraiment envie de me battre, de peindre, de vivre...

J'habite assez près du Père Lachaise, j'entends parfois quand le vent est favorable, le piano de Chopin, un concert de Rossini, un poème d'Alfred de Musset. Je vois les Misérables de Victor Hugo, le Théâtre de Molière, le Maréchal Ney et Murat font un bruit infernal; sous ma fenêtre défilent: Visconti, Colette, Félix faure, Héloïse et Abélard, Rothschild, Edouard Branly,Champollion, Ingres, La Fontaine, Beaumarchais, Parmentier, Balzac, G.Mélies, Oscar Wilde, Courteline etc...Tu vois, je suis bien visité...!

( En post scriptum, il écrit encore) : A.Artaud doit rôder dans le square, le soir j'entends des cris, comme des clameurs lointaines. Les revenants existent, cela est rassurant !

Parisien, Jean-Louis, tu l'es resté jusqu'à ce jour, puisque tu as gardé ton domicile dans la capitale, mais tu as éprouvé, comme un oiseau migrateur, l'envie de retourner dans ta province de l'Est, lieu de tes origines; comme appelé à finir ta vie là où elle a commencé.

Lorsque la maladie s'est emparée de toi, tu as vécu le scandale de la croix. Tu as été comme ces disciples d'Emmaüs de l'Evangile de ce jour qui sont repartis chez eux, dépités, déçus. Ils avaient cru en ce Jésus-Christ, mais ils n'ont vu que le drame de la croix, de la mort.

Cela risquait de n'être qu'une belle histoire qui se terminait mal!

Or, c'est grâce à cet homme qu'ils rencontrent sur leur chemin que la lumière de l'espoir jaillit à nouveau.C'est par des signes et notamment par la fraction du pain que leurs yeux s'ouvrirent et qu'ils reconnurent en cet étranger : Jésus !

Ainsi en parlant de Jean-Louis, en retraçant sa vie comment comprendre sa disparition ?

Ce passage de l'Evangile sur les disciples d'Emmaüs nous invite à dépasser le cap difficile de la mort, de la souffrance, de l'obscurité et du découragement. Il nous incite à nous mettre en route pour une vie nouvelle.

Jean-Louis avait un fort attachement pour la personne du Christ. Lors de ses séjours à l'hôpital, le fait de voir un crucifix accroché au mur de sa chambre lui redonnait confiance.

Même si la foi en Jésus-Christ n'enlève rien au côté tragique de la mort, cela demeurera toujours un scandale permament.Par contre en regardant Jésus crucifié, il est permis pour les vivants que nous sommes d'espérer contre toute espérance.

Nous pouvons compter sur le Crucifié pour aider Eve, son épouse, la mère et le père de Jean-Louis, ses frères, ses proches et amis à supporter cette séparation d'un être cher.Car Dieu appelle chacun d'entre nous à les entourer de notre affection et à ne pas les laisser seuls dans leur chagrin.

Pour terminer, je citerai quelques phrases écrites par mon fils Sébastien à son oncle le 27 novembre 1998:

Je tiens à te dire ce que tu représentes pour moi, n'y vois pas un éloge pompeux et faux, mais les sentiments sincères d'un jeune de 18 ans que son oncle a beaucoup marqué.

Je t'ai toujours admiré, tu m'as fasciné, tu demeures sans aucun doute l'une des personnes que j'aime le plus, en fait je t'aime comme un fils aime son père.Tu es, en quelque sorte mon maître à penser, mon exemple comme le sont Baudelaire et Balzac, parce que tu représentes le vécu, l'expérience, celui qui a déjà tout vu, tout connu, tout lu ...

J'espère que tu sais ô combien tu comptes pour mon père et moi. Sache aussi que dans mon coeur ta place est grande, chaude et confortable et que tu l'as toujours occupée.